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Rencontres en stop et paysages hors du temps sur la Carretera Austral, Chili 

En cette mi-janvier 2023, le temps est au beau fixe et la température clémente, sur les berges du lac Buenos Aires. Manon vérifie une dernière fois les documents nécessaires pour notre entrée au Chili, tandis que je plie une dernière fois la tente, de ce côté-là de la Patagonie !

Comme souvent avant le passage d’une frontière, j’ai une petite boule de stress au creux du ventre. Mais cette fois-ci, il y a également une vraie tristesse de quitter l’Argentine, qui nous a si bien accueillie pendant 3 mois ! Allez, on se met en route, direction le poste frontière à 30 min à pied.

Frontière Argentine – Chili de Los Antiguos

Notre itinéraire du sud vers le nord

Comme toujours, on tend le pouce sur les bords de route, qui sont particulièrement désert aujourd’hui… Quelques voitures dans l’autre sens, des chiliens venus profiter du week-end pour la Fête de la Cerise, l’attraction annuelle de Los Antiguos. Une fois au poste, la sortie n’est qu’une formalité – la gentillesse des douaniers en prime, cela ne nous prend que quelques minutes. A peine sortis, nous attendons une quinzaine de minutes, mais toujours aucune voiture en vue ! Alors on décide d’avancer, mais surprise ! Le poste frontière d’entrée au Chili est situé à 6,2 km d’ici, et il n’y a pas un arbre sous lequel s’abriter… 

Quelques voitures passent, mais ne s’arrêtent pas. Il fait une chaleur écrasante, sous un soleil de plomb. Après 1h de marche, quelques véhémences de Manon contre ces ****** de conducteurs, un gentil couple d’argentins fini par nous prendre avec eux ! Nous passons la frontière presque ensemble, et nous voilà au Chili, pour la 4ème fois en 3 mois ! Nous avions fait une semaine à San Pedro de Atacama, puis le double passage obligatoire au Chili pour nous rendre à Ushuaïa

Chile Chico, miroir chilien de Los Antiguos

Quelques kilomètres plus loin, nous voilà à Chile Chico, notre premier village de Patagonie chilienne. Le lac qui court sur les deux pays, a changé de nom – nous sommes désormais devant le lago General Carrera. Après avoir retiré de l’argent et pique-niqué, nous sommes parés pour la reprise du stop !

Mais la concurrence va être rude… Deux couples et un groupe de 3 amis sont déjà en position à la sortie du village. Nous suivons donc une règle de respect mutuel entre auto-stoppeurs, en nous mettant à leur suite ! Et nous attendons longtemps… Presque 2h, le plus long de notre voyage ! Sous nos yeux ébahis, un camion gigantesque s’arrête et nous laisse monter à bord. Il s’agit d’un ancien camion militaire Volkswagen (cabine MAN), transformé en « maison sur roues », version 4×4. Antje, Udo et leur fils Paul, allemands, voyagent pour quelques mois en Patagonie, avant de ramener leur camion en Uruguay et de le laisser là jusqu’à l’année suivante. 

Ils sont charmants, et nous discutons si bien qu’ils nous proposent de passer la soirée avec eux, ce qu’on accepte immédiatement ! La route qui longe le lac est magnifique et parfois terrifiante, le camion tremble, rue et souffle comme un cheval de rodéo. Le paysage change progressivement, et après 2h de route, il n’a plus rien à voir avec l’Argentine ! Fini le désert, place aux arbres et à la verdure. Nous trouvons un joli spot pour la nuit, au bord d’un magnifique lac, plus petit celui-là. Les allemands allument un feu le temps qu’on installe notre tente, et la soirée est très chouette, avec un barbecue et des discussions passionnantes. 

Puerto Río Tranquilo sur la Carretera Austral

Après une nuit fraîche et reposante, ils proposent de nous emmener jusqu’à Puerto Río Tranquilo, notre première destination sur la carretera austral. Cette route mythique, plus encore que la ruta 40 d’Argentine, est parcourue chaque été par de nombreux visiteurs en quête de paysages alpins extraordinaires. Sa renommée vient également du contexte politique dans lequel elle a été créée. Sous la dictature du général Pinochet, et dans un contexte de conflit potentiel avec l’Argentine, celui-ci annonce en 1976 l’intention de prolonger la route de Puerto Montt jusqu’à O’Higgins, et ainsi désenclaver les tréfonds de la Patagonie chilienne. Jusqu’alors, seuls les bateaux qui pouvaient naviguer dans les fjords avaient la possibilité de livrer matériel et nourriture aux villes et villages, ainsi que quelques voies terrestres en provenance d’Argentine.

Quelques beaux paysages sur la route 😉

Ce sont donc 1240 km de route mi-goudronnée, mi-battue, qui serpentent à travers les montagnes, lacs et glaciers de Patagonie. Sur ses flancs, pas moins de 13 parcs nationaux sont accessibles, et la nature y est exubérante. L’homme d’affaire et activiste Douglas Tompkins (fondateur de The North Face et Esprit), acheta et conserva des milliers d’hectares d’espaces naturels, dont sa famille fit don à l’état chilien en 2017, transformés depuis en parcs nationaux.

Cathédrales de Marbre, joyau géologique 

Puerto Río Tranquilo porte bien son nom. Dans cette petite bourgade sans prétention, qui vit de la pêche, du tourisme et de l’industrie forestière, les habitants sont souriants et plutôt relax ! Les hostels sont hors budget pour nous au Chili – c’est donc au camping que nous nous installons pour 2 jours. Le lendemain, avec Matis et Marie que nous avons rencontré la veille, nous effectuons un tour en bateau pour voir les fameuses Cathédrales de Marbre (capillas de marmol). Il s’agit de la principale attraction du coin – les roches de carbonate de calcium (composant principal du marbre) datent du Paléozoïque Supérieur (-540 millions d’années). Plus récemment, après la fin de la dernière aire glaciaire, des grottes et des falaises sont apparues sur les berges du lac, sous l’effet de l’érosion de l’eau.

Notre guide nous explique tout ça, tandis que le bateau entre dans un univers magique. L’eau turquoise du lac nous projette en Polynésie, et les reflets de l’eau dans les grottes nous donnent l’impression de plonger au cœur d’une caverne de glace. Une sortie réussie !

Le soir, toujours avec nos compagnons grenoblois, nous escaladons la montagne derrière le village pour accéder à un point de vue pour le coucher de soleil. En arrivant en haut, le paysage est incroyable, la vue a couper le souffle : un lac immense, les montagnes, plusieurs glaciers, de belles forêts… un des plus beaux qu’il m’ait été donné de voir à ce jour !!

Allez, petite question : combien voyez-vous de vaches noires ?

Bivouac avant Cerro Castillo

Après une journée de repos, nous reprenons la route en stop vers le nord. Toujours autant de concurrence à la sortie du village, mais surtout dans l’autre direction, heureusement. Il faut croire que les prix exorbitants du Chili (et notamment de la Patagonie) ont donné des idées aux jeunes du monde entier !

Cette fois-ci, c’est un pickup qui nous récupère à l’arrière. Très marrant au début, on profite du paysage les cheveux au vent. Nous quittons enfin le lac General Carrera, avant de s’enfoncer dans une vallée, recouverte d’une vieille forêt d’arbres majestueux. Puis le goudron disparaît et c’est tout de suite moins drôle. Des voitures nous précèdent, et nous suffoquons dans la poussière qu’elles soulèvent. Après 1h derrière eux, nous descendons de la voiture, blanchis…

Avant d’arriver à Cerro Castillo (ou le Mont Château), notre prochaine destination, j’ai repéré sur Google Maps – et sur l’appli iOverlander – une zone peu habitée, avec une rivière et une petite route qui s’éloigne de la vallée principale. Sous un soleil chaleureux, nous faisons une toilette dans l’eau glaciale, rinçons nos vêtements poussiéreux, et on farniente joyeusement. Le soir venu, nous installons le bivouac dans un champ privé, derrière une barrière. Il s’agit du seul endroit plat du coin, qui n’était finalement pas si désert que ça… Mais la nuit est calme malgré le vent permanent, et nous partons tôt le lendemain, juste avant l’arrivée des moutons dans le champ ! 

Le cerro Castillo à droite

Parque nacional Cerro Castillo, une pépite inaccessible ?

Arrivés au village de Cerro Castillo, nous réalisons que nous n’avons pas les moyens de payer l’entrée du parc national – plus de 25€ / pers ! On trouve une autre entrée non gardée, et échappons aux contrôles, pour la première partie tout au moins. Belle rando dans la forêt, le long d’un canyon avec une jolie cascade, qui se termine dans les alpages. Un gaucho chilien vient rassembler ses bêtes, nous salue du bout de son chapeau, et continue son ascension. Nous faisons demi-tour avant d’arriver à notre destination – un ranger effectue des contrôles de billets plus loin, on ne veut pas de soucis avec eux. Tant pis pour nous, l’accès final au « château » (castillo) est apparemment magnifique, de ouï-dire.

Notre route continue, direction la grande ville du coin, à quelques heures de route. Mais avant de débarquer en ville, nous restons dans notre schéma : 1 nuit de bivouac pour 2 nuits en camping. Au bord d’une rivière, bordée par des lupins sauvages en pleine floraison, nous plantons la tente sous le couvert des arbres. Nous faisons un petit feu pour nous réchauffer et faire bouillir l’eau des pâtes. La lumière est extraordinaire, mais la température tombe très vite, et la nuit sera fraîche… 

Coyhaique, « Corazón de la Patagonia »

Quelques voitures de plus nous emmènent à Coyhaique, notre première ville de la Patagonie chilienne. Autour de la cité, le paysage s’est encore transformé ! De grandes prairies fauchées il y a peu et des champs mouchetés de bottes de foin plastifiées rappellent la saison des moissons en France. Les températures et la météo sont encore clémentes, voire même un peu trop avec les 30 degrés et le soleil qui tape dans l’après-midi, mais nous trouvons de l’ombre dans un camping du bord de la ville.

Nous avons à faire : courses pour les jours à venir, retirer de l’argent, récupérer une carte SIM pour le Chili, aller chez le coiffeur, valider le point de rdv et la date exacte de notre prochain volontariat, 200 km au nord. J’en profite même pour acheter une canne à pêche ! Après avoir testé avec les allemands et rencontré un américain venu juste pour pêcher la truite, j’ai envie d’essayer… C’est mon petit cadeau de Noël personnel 😇

Bivouac n°3 sur la carretera austral

Nous sortons de la ville à pied, encore une fois. Les sacs sont particulièrement lourds, car on transporte toujours un peu de nourriture et de l’eau « au cas où ». Mode survie activé ! Jose, avec son costume impeccable, nous montre les falaises débordantes d’eau, avec des dizaines de cascades qui surgissent entre les arbres. C’est féerique. Puis Juan Carlos, un papi antivax, nous récupère, et c’est enfin Roberto qui nous emmène dans son camion, qui ronfle fort lorsque la route grimpe soudainement à l’assaut d’un col.

Il est évident que nous avons encore changé de climat. Non seulement le brouillard et la pluie fine nous enveloppent en permanence, mais les arbres et le sol sont recouverts d’une mousse épaisse et de champignons gigantesques. Bienvenido a la selva fría, comme ils disent. On quitte la route principale pour chercher un spot de bivouac au bord de la rivière. C’est sauvage et magnifique, j’adore ! J’ai le sentiment d’avoir atteint un lieu fantasmé depuis toujours, mélange d’Alaska et d’Amazonie. Mais la pluie me ramène sur terre, et elle durera une bonne partie de la nuit ! Tandis que Manon se plonge dans l’aquarelle, je m’essaye à la canne à pêche, sans grand succès… L’hameçon se coincera même dans une branche de l’autre côté de la rivière, me forçant à un prendre un bain glacé ❄️ …

Parque nacional Queulat

Nous rejoignons le camping du parc national Queulat, où nous nous rendons en fin de matinée. Mais la pluie se rapproche et la vue est bouchée, on décide donc de revenir le lendemain. En fin d’aprem, je me rends au fjord Queulat, à 20 min à pied. Canne à pêche dans le sac, c’est plutôt pour admirer du paysage que pour attraper quelque chose… Mais entre deux décrochages de l’hameçon dans les algues, j’aperçois un dauphin à quelques mètres de mois, et le coucher de soleil est magnifique !

Nos voisins de tente, un couple chilien de Santiago, Fernie et Rodrigo, sont adorables, et nous passons la soirée à discuter, autour du feu médiocre qui fume plus qu’il ne brûle ! Tout est archi trempé et imbibé d’eau… c’est déjà un petit miracle d’avoir réussi à l’allumer 😅 !

Le lendemain, on retente notre chance, et entamons l’ascension qui nous mène au point de vue sur le « glacier suspendu » ! Celui-ci surplombe une falaise immense duquel surgit une cascade impressionnante. La vue est magnifique, nous avons de la chance de le voir dégagé, car beaucoup de personnes rencontrées nous ont dit l’avoir vu dans les nuages. Mais la plateforme d’observation est blindée, et le parc national ne se résume quasiment qu’à ce chemin (ou à l’excursion payante en bateau), et c’est un peu fatiguant de payer encore aussi cher pour ça. Heureusement, on rencontre Lionel et Pascale, aka la Crapa’hutte, deux suisses adorables qui voyagent 2 ans autour du monde.

Autour de Puyuhuapi, dans les fjords

Nous reprenons la route, direction Puyuhuapi, un petit village qui nous sert de ravitaillement. Comme d’hab, des pâtes pour le soir, une sauce genre bolo, du pain de mie pour le petit dej et le pique-nique. Le village est paisible ; mélange réussi entre les Mapuche (indigènes présents dans la région avant l’arrivée des espagnols) et des migrants allemands. A la sortie du village, s’arrête une voiture, avec à son bord : Hernan et Maria, un couple de Santiago, en vacances. Lui a travaillé comme consultant pour le gouvernement, sur le sujet des retraites. On le surnommera M. Retraites. Sa compagne est psy et propose des thérapies avec la plante de Bach comme support. 

Ils nous déposent sur les bords d’une nouvelle rivière, dans une nouvelle vallée, après nous avoir demander plusieurs fois si nous étions sûrs de vouloir passer la nuit ici puisqu’il n’y a rien autour ! Le cadre est relaxant, quelques familles viennent pêcher la truite, et ils auront plus de succès que moi… Elles me narguent, je les vois qui nagent tranquillement à 5 cm de mon hameçon ! Grrrrrr 

Finalement tout le monde s’en va, on monte la tente, les moustiques sortent nous faire coucou, on allume donc un feu pour les faire fuir, faute d’avoir une truite à faire cuire… 

Puerto Raúl Marin, le bout du bout du monde

Le lendemain, nous voici à une intersection, pour nous rendre sur la côte, à Puerto Raúl Marin, où nous souhaitons dormir. Mais personne ne semble s’y rendre ! Pascale et Lionel passent devant nous et s’arrêtent en nous reconnaissant, et on discute un moment en visitant leur van. Et alors qu’ils repartaient, Hernan et Maria, eux aussi rencontrés la veille, passent devant nous et se rendent aussi à Puerto Raul Marin ! 

Nous voilà dans leur voiture, à raconter notre bivouac de la veille qui les avait fort intrigué. Arrivés sur la côte via une toute petite route et un ferry, la pluie nous tombe dessus petit à petit. La lumière est irréelle, apocalyptique, le vent est cinglant et nous envoie des rafales de sable. Nous décidons d’aller faire une balade sur le bord de mer, et après avoir pu voir quelques dauphins, le temps tourne au cauchemar ! Le déluge nous a rejoint, et nous voilà au pas de course pour rentrer ! Mon téléphone ne fonctionne plus et je n’arrive pas à prévenir M. Retraites… Finalement nous sommes réunis, presques au sec dans leur voiture, et nous rentrons avec eux jusqu’à La Junta, sur la route principale.

La Junta, escale forcée avant notre arrivée à Palena 

Nous payons 25,000 pesos chilien (25€) pour une nuit chez l’habitant, salle de bain partagée, et des murs en papier. Mais quel confort pour nous après 2 semaines de tente ! On apprécie 🙂 et finalement nous resterons 3 nuits, car la pluie n’a pas cessée un instant. J’avance le montage et les retouches photo, Manon travaille sur un article. Enfin, après un repos forcé (mais mérité!), il faut ressortir. On échappe à une dernière averse in extremis sous le toit d’un arrêt de bus, avant d’être pris en stop, puis rejoint quelques kilomètres plus tard par un autre couple en stop ! Nous sommes donc 6 dans la voiture, serrés comme des sardines à l’arrière à 4 avec les sacs à dos en plus !

Après un dernier bivouac sur la route de Palena, nous rejoignons le village qui sera notre point de repère pour les prochaines semaines ! Nous passons une dernière nuit dans l’unique camping des environs, et profitons d’un petit restaurant sympa pour télécharger quelques séries sur l’ordi, faire le plein de civilisation avant de nous isoler dans une ferme, coupés de tout ! Suite au prochain épisode 😉.

Théo

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