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3 semaines de bohème en Patagonie chilienne 

« Hooo…. tranquilo, tout doux… C’est bien, vamos, oui je sais, tu as la dalle, ca fait au moins 12h que tu n’as pas eu d’herbe fraîche ! »

Luigi hennit doucement et remue la tête d’un air de dire « avance plus vite, petit homme ». La lumière est belle, rasante encore en cette heure matinale. La rosée scintille dans la prairie, des gouttes perlent sur les arbres à maquis. Devant moi, Manon tient Tanhari par les rênes et nous guidons les deux chevaux de Tomas et Patricia de leur enclos nocturne vers leur fourrage de la journée. 

Comme un air de bohème en Patagonie chilienne, en ce doux mois de février 2023. Nous avons débarqué il y a quelques jours dans cette ferme pour un nouveau volontariat de 3 semaines. Cette fois, la famille qui nous accueille est allemande. Tomas et Patricia, comédiens de métier, ont décidé de changer de vie et de s’installer au milieu des montagnes de Palena, à quelques kilomètres de la frontière argentine. Il y a une dizaine d’années, ils laissent derrière eux leur troupe de théâtre, démissionnent des autres métiers qu’ils faisaient alors, et partent plusieurs mois consécutifs faire du cheval en Patagonie. Ils tombent amoureux de la région et décident de s’y installer, construisent une maison avec l’aide de volontaires et d’artisans locaux, et aujourd’hui leurs deux filles vont à l’école dans la vallée voisine.

La maison principale où vit la famille

Le cadre est magnifique, eux-même sont adorables et très intéressants, et la nourriture que nous prépare Patricia est incroyable ! En contrepartie, nous travaillons 5-6h par jour, principalement le matin. On déjeune ensemble le midi, on s’occupe de la vaisselle, et nous retournons chez eux le soir pour dîner, après l’après-midi qui est libre. Il y a des tâches quotidiennes rapides que nous faisons à tour de rôle : emmener les chevaux dans une partie de la prairie non tondue, nourrir les poules, ouvrir le portail des oies (et les ramener le soir), nourrir les chats, et arroser le jardin lorsqu’il n’a pas plu. 

Mais Tomas nous a prévenu, le chantier du mois consiste avant tout à construire une très grande barrière avec un grillage et du fil barbelé, dans les hauteurs. En effet, nos hôtes aimeraient avoir des bovins dans les années qui viennent – ils sont déjà presque autonome sur les légumes grâce à l’immense potager qu’ils maintiennent, mais la viande serait une source de revenus et une denrée supplémentaire. Parfois, lorsque l’hiver est rude et que les températures dégringolent, la barge qui leur permet de traverser la rivière est fermée et ils sont bloqués plusieurs semaines sans ravitaillement possible. 

Pendant ces 3 semaines, May et Puck, deux volontaires americano-chilien.ne nous tiendront compagnie et nous partagerons les tâches. Les 3 premiers jours, je monte avec Puck et Tomas faire un chemin dans les arbres à la tronçonneuse et à la machette, afin de pouvoir y passer la clôture. Pendant ce temps, Manon et May travaillent avec Patricia dans le potager, principalement pour du désherbage et repiquage. D’inspiration permaculture, de nombreuses rangées de légumes cohabitent au milieu des fleurs, des insectes qui pullulent et des plantes aromatiques. Une grande serre permet aussi de faire pousser des tomates, concombres, salade, basilic et de faire grandir les semis en extérieur malgré le rude climat.

Luka, la chienne qui garde vaillamment la maison, nous accompagne partout ! Elle course les lapins et vient jouer avec nous dès que l’on fait une petite pause. Après quelques jours, Manon et May nous rejoignent dans la forêt, et ensemble, nous allons monter la clôture pendant 2 semaines. D’abord nous installons les poteaux en bois là où il n’y a pas d’arbres, et ensuite le grillage, que l’on déroule, que l’on tend puis cloue sur les troncs et sur les poteaux en bois. Porter, planter, dérouler, tirer, tendre, clouer, avancer, et recommencer à l’arbre suivant. Les courbatures des mains, bras et épaules attestent du manque de sport et d’activité manuelle pendant ce tour du monde ! 😅

Ensuite vint la semaine des fils barbelés et des crochets de bois. Nous tendons 2 lignes en haut de la clôture, en déroulant tant bien que mal ces rouleaux d’une trentaine de kilos qui nous arrachent les vêtements à la moindre seconde d’inattention. Ces fils servent à empêcher les bêtes de s’appuyer contre la clôture, qui ne résisterait pas à leurs poids… Au pied du grillage, nous fabriquons à la tronçonneuse des crochets naturels en bois, que l’on enfonce à la masse dans le sol. Ils maintiennent ainsi l’ensemble proche de la terre, évitent les passages d’animaux par en-dessous, et en repoussant, l’herbe fixera naturellement le grillage au sol.

La dernière semaine, nous changeons un peu en alternant entre le potager et les travaux manuels autour de la ferme – couper du bois à la hache, ramasser des fruits dans les arbres (notamment du maqui – baies de Patagonie), déraciner les indéracinables rosip mosquetas (roses sauvages aux terribles réseaux de racines qui plongent à la verticales, et qui repoussent si ce n’est pas intégralement enlevé), etc…

Pendant notre temps libre, on profite de la douceur de l’après-midi pour traîner à l’extérieur, aller voir les chevaux et jouer avec la dizaine de chatons (beaucoup trop mignons !). Manon dessine, j’avance un peu les montages, articles et retouches photos, et on lit beaucoup. Nous allons aussi régulièrement à la rivière Palena située en contrebas du terrain, à une quinzaine de minutes. Luka nous accompagne souvent et bien que l’eau soit glaciale, un petit plongeon nous fait toujours du bien, parfois tout habillé pour enlever la poussière de nos vêtements, et parfois… nus comme des vers 😇. Je perfectionne un peu ma technique de pêche et j’arrive enfin à attraper quelques truites. Pas très grosses mais suffisamment pour agrémenter nos plats le week-end ! Ça rassure un peu mon ego… 😉

La rivière Palena qui coule doucement vers l'océan Pacifique...

L’ambiance générale est bonne, mais notre relation avec les autres volontaires est un peu froide. Iels sont beaucoup plus jeunes (19-20 ans) et restent un peu dans leur coin, tout en prenant énormément de place, sans vraiment aider Tomas et Patricia pour les tâches ménagères… Seul.e Puck semble préposé.e à partager quelques moments avec nous, nous en apprendre un peu plus sur sa jeunesse au Chili. Mais sans plus… Lorsque nous sommes tous les 6, nous parlons en anglais. Quand leurs filles sont là nous switchons en espagnol, mais leurs parents leurs parlent en allemand, et moi en français avec Manon. C’était compliqué au début, mais à la fin du séjour nous passions de l’un à l’autre sans soucis ! Juste Patricia qui, un jour, commence à me parler en allemand pendant presque une minute avant de se rendre compte que je ne comprenais rien ! 🤣

Tomas est passionnant et me raconte sa vie d’avant, ses déboires avec les voisins qui ont vu d’un mauvais œil leur installation au Chili, la construction de leur maison, ses sorties kayak dans les fjords et les longues semaines de cheval entre les volcans de la cordillère des Andes. Patricia, très expressive également, à une grande connaissance des plantes – d’un point de vue botanique mais aussi médicinal et culinaire. C’est une véritable encyclopédie ! Sur la table à midi, il y a un peu de tout. Des plats au four (gratins, quiche, pains excellents), des plats en sauce, des soupes, des salades, des chips de légumes du jardin, des gâteaux aux fruits des environs, du fromage local, et de temps en temps un peu de viande, souvent achetée aux voisins qui élèvent leurs propres bêtes. Économie locale assurée !

Pour notre dernier week-end de libre, Tomas nous a parlé de l’ascension de la montagne qui surplombe la maison. Nous la voyions tous les jours en faisant la clôture, alors on ne pouvait pas rêver mieux pour terminer le séjour ! Sauf que… il n’y a pas de chemin ! Et vu d’en bas ça parait facile, mais la réalité est tout autre. Il nous donne quelques indications pour retrouver le chemin qu’ils avaient entrepris avec d’anciens volontaires un an plus tôt, nous montre sur la carte les sources d’eau, et nous voilà chargé de la tente et de vivres pour 2 jours, avec la machette. 

La première partie est facile, mais en arrivant sur la crête ça se complique. Très vite nous perdons les indications, on commence un chemin à la machette dans le sous-bois, puis on rebrousse chemin, on finit par trouver le chemin de Tomas à la tronçonneuse, et enfin nous voilà dans une magnifique forêt où il est (relativement) facile de circuler. Mais ça grimpe encore, et très vite nous sommes face à une falaise, où la végétation prend le dessus. On cherche à gauche, on se perd, puis à droite, mais les moustiques et les mouches rôdent et il commence à être tard. 

Alors que nous étions sur le point de faire demi-tour, j’aperçois par hasard des branches coupées à la machette – le chemin de Tomas ! Mais en un an, la végétation a bien repoussée… On se griffe à tous les pas entre les épineux, je suis seul devant à la machette et Manon trouve le temps long derrière… Nous montons jusqu’à un point de vue, mais il est déjà 17h et il nous reste plus des deux tiers du trajet à parcourir, plus le retour ! Alors on rebrousse chemin, mais pour ne pas rentrer trop vite, nous campons sous les arbres après avoir cherché en vain l’une des sources de Tomas. Nous voilà en rationnement d’eau désormais. 

Nous sommes de retour à la ferme, trempés après la pluie de la nuit, un peu penaud, mais conscient que le défi était trop gros pour 2 jours de rando seulement. Il aurait fallu avoir repéré l’endroit, les sources, et que Manon prenne aussi une machette. Pour notre dernier soir, Tomas est allé chercher un cordero patagonico (de l’agneau), réputé dans la région ! Je cuisine une tarte aux légumes dans notre four à bois, et on fait une belle fête, les filles de nos hôtes ont invitées leurs copines pour la soirée, on danse le tango (Tomas était prof), la salsa, on boit du vin, des bières, du rhum… Un beau moment 🙂

Et voilà, il est l’heure de reprendre la route, vers le nord ! Encore un petit bout de Patagonie avant de filer vers Santiago et Valparaiso, nos ultimes escales d’Amérique du Sud… Hasta luego ! 😎

Théo

2 commentaires

  • dan

    Très beau ! Encore un endroit magique, un peu le pendant de votre volontariat côté Argentine.. La cuisine de Patricia donne faim ! Belles lumières et magnifique jardin 🙂 On voudrait voir la clôture !!
    Bonne route…

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